Dans cette ruelle étroite où le vent s’engouffre comme un mendiant transi, j’ai vu ma mère, un soir, se diriger vers la porte voisine. Elle frappa doucement, presque avec crainte, et lorsqu’on ouvrit, elle demanda d’une voix basse et fragile :
— Auriez vous un peu de sel à nous prêter ?
Je restai interdit. Nous avions du sel, là, sur l’étagère de bois fatigué, dans un pot ébréché, témoin de tant de repas silencieux. Pourquoi donc cet étrange simulacre ?
Lorsque nous rentrâmes, je ne pus m’empêcher d’interroger ma mère. Elle me regarda, ce regard de femme qui a trop vu, trop compris, et elle murmura, comme si elle me confiait un secret qu’elle portait depuis toujours :
— Nos voisins sont pauvres.
Trop pauvres pour demander sans cesse, trop fiers pour quémander sans fin. Alors, parfois, moi aussi je demande, pour qu’ils sentent que nous avons besoin d’eux, pour alléger le poids de leur honte, pour qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seulement ceux qui reçoivent, mais aussi ceux qui peuvent offrir.
Je baissai les yeux. Une simple pincée de sel, et voilà que le monde s’effondrait en moi, voilà que les rôles s’inversaient, que la charité prenait un masque nouveau, plus doux, plus noble, celui de l’humble nécessité partagée.
Cette nuit-là, il me sembla entendre les murs chuchoter des confidences de misère. Il me sembla voir la détresse s’effacer, un instant, sous le baume d’une illusion réconfortante.
Oh, mère au cœur immense, qui savait que donner, c’est aussi parfois recevoir… qui savait que dans la main qui tend, il y a souvent plus de dignité que dans celle qui refuse.
Et moi, ce soir-là, j’ai compris que la plus précieuse des richesses n’était pas l’or, ni le pain, ni même le sel… mais ce fragile équilibre entre ceux qui osent demander et ceux qui savent offrir.
un jour je m'en irai sans en avoir tout dit..

Commentaires